Diptyque
Verre feuilleté extra-clair avec bords polis faces trempées avec impression numérique, Verre brisé
140 x 90 cm et 200 x 140 cm
Production Le Grand Café – centre d’art contemporain, Saint-Nazaire
Courtesy de la galerie Ceysson & Bénétière, Paris
Diptyque suspendu, Beyrouth constitue une des premières étapes des recherches photographiques qui occupent l’artiste au Liban, nouveau terrain d’exploration pour Aurélie Pétrel au cœur des enjeux géopolitiques les plus actuels. L’artiste s’est plongée dans l’histoire de la ville à partir d’une collection amateur d’archives photographiques, qu’elle re-photographie. Deux prises de vue extraites de ce corpus se font écho : la première met en scène une plaque photographique datée des années 1920-1930, issue d’un studio de photo professionnel syrien. C’est un portrait assis, de face, avec les bras sur les genoux, qui a initialement été colorisé au niveau du visage et des avant-bras. Il a retenu l’attention de l’artiste en raison d’un détail violent : son visage a été raturé, censuré, oblitéré. Si Aurélie Pétrel accueille cette attaque de l’image et la retient comme « punctum décisif » (notion liée au hasard énoncée par Roland Barthes), elle ne la souligne pas pour autant, au contraire sa prise de vue emmène sciemment vers une abstraction du matériau originel, entre surface aux reflets métalliques, douceur matiériste presque picturale et transparence énigmatique.
La seconde image est une mise en situation : sur un parking de Beyrouth, l’artiste a photographié des ratures prélevées sur ces plaques du siècle dernier et les a repeintes à l’aérosol sur très grand format. En écho aux tensions palpables que l’artiste a ressenti sur place, le geste de rature prend des allures de tag revendicatif. L’image se déploie sur une plaque de verre brisée, enserrée entre deux autres surfaces vitrées. Aurélie Pétrel dévoile ici un scénario stratifié, où se promener et condenser librement une diversité (perceptuelle, conceptuelle) en une seule entité. Dans la lumière naturelle qui traverse l’image diffractée et transparente se dévoile un univers troublant, défini par des focales qui se recomposent en permanence.
L’image fonctionne comme une enquête à la lisière du visible : elle traduit la circulation du regard si essentielle dans le travail de l’artiste, son appétence à passer d’un espace à un autre, et à programmer le jeu d’une profonde manipulation spatio-temporelle, à base d’imbrications de réalités et de correspondances sensibles. Là encore, l’artiste nous convie à une sorte d’excursion mentale, entre le support et la surface, l’incise graphique et la topographie, le mystère de l’image et son élucidation.
Ce texte est extrait du communiqué de presse écrit par Éva Prouteau, critique d’art, à l’occasion de l’exposition au Grand Café.