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Exposition
Révéler les potentiels sonores du monde et en éclairer les lectures : tel serait le leitmotiv traversant l’œuvre d’Haroon Mirza, qui déploie ses installations composites comme des paysages sculptés dans le son. S’inspirant largement des théories de la communication du sociologue-philosophe Marshall McLuhan et de ses écrits autour de l’espace acoustique, l’artiste s’attaque à la suprématie du champ visuel comme principe dominant de perception.
Beaucoup d’accessoires peuplent cet univers aux strates temporelles mêlées : des objets du quotidien usagés, souvent utilisés pour la production d’image et de son, des meubles vintage, des instruments analogiques disséqués ; mais aussi des vidéos YouTube, des LED aveuglants et du matériel électronique.
Souvent, ces éléments sont détournés de leur fonction initiale : Haroon Mirza les ausculte, les met en relation, libère de nouvelles fonctionnalités. Formé au design au Goldsmith College de Londres, il a retenu de cet enseignement une certaine approche de l’objet-prototype et développé un sens critique face à la correspondance entre forme et usage des objets. Ses sculptures naissent ainsi de dispositifs mécaniques et électroniques qui génèrent des compositions esthétiques, visuelles et sonores proches de l’expérimentation.
Il semble guetter particulièrement les moments de changement de perception, le glissement de l’audition à l’écoute, quand le bruit devient musique, comme dans l’installation Cross Section of a Revolution (2011) où l’entrelacs de musique improvisée, de discours politique, et de sculpture sonore ouvre un nouveau champ d’expérience. Parfois fruit d’une démarche collective, le travail d’Haroon Mirza intègre également volontiers celui d’autres créateurs. L’artiste utilise alors dans ses installations des bribes de musique pop, séquences de house et techno music, œuvres références de la musique contemporaine expérimentale, procédant ainsi sur un mode proche du featuring.
Les interférences et la boucle – visuelle et sonore – reviennent souvent dans l’œuvre, comme pour mieux mettre sous tension des espaces où sons amplifiés, images lancinantes et objets singuliers se rencontrent pour former un tout synesthésique, à l’impact physique puissant.
De plus en plus, l’artiste témoigne également d’une attention particulière à l’architecture comme espace de résonance, propre également à l’expérimentation des sens. En témoigne notamment l’installation présentée dans le cadre de la 54ème Biennale de Venise, The National Apavilion of Then and Now (2011) qui place le visiteur dans un espace sombre et insonorisé habité par un son électronique perçant au rythme monotone. « Aujourd’hui encore, l’absence totale de bruit et de lumière demeure associée dans l’inconscient collectif à une forme de peur indiscernable. Privé de ses sens les plus précieux, le spectateur se retrouve alors dans une situation inhabituelle et inconfortable, l’obligeant à trouver en lui les ressources pour pallier le malaise suscité par cet environnement relativement hostile1. »
En 2012, le Grand Café a présenté une vidéo de l’artiste, Adhãn (2009) titre qui désigne en arabe l’appel à la prière et notamment l’appel à la prière en groupe. Haroon Mirza y interroge le rôle de la musique dans certains contextes culturels et religieux. Élevé lui-même dans la culture orientale, l’artiste explique s’être tourné assez naturellement vers l’Islam pour nourrir sa réflexion sur les conditions de réception culturelle du son.
À l’occasion de cette nouvelle exposition, l’artiste prolonge cette pensée de production et de réception des « sons qui font images » dans des contextes culturels très divers : The Calling (2013-2014) installation et performance initiée à l’Atelier Calder puis à Edimbourg pendant l’été 2013, trouvera de nouveaux développements à Saint-Nazaire ; Haroon Mirza poursuivant son étude des mécanismes intangibles mais efficaces que cachent certaines matières sonores, comme l’appel du muezzin.
L’étude du son, autonome et spatialisé, est également au cœur de Pavilion for Optimisation (2013), autre installation immersive présentée dans l’exposition, qui poursuit les recherches initiées lors de la biennale de Venise de 2011. Architecture dans l’architecture, cette chambre de réverbération propose une expérience intense, où le visible et l’audible s’articulent étroitement jusqu’au trouble sensoriel.
À l’étage du centre d’art, une nouvelle production de l’artiste Access Boot (2014) fait allusion à l’histoire militaire de Saint-Nazaire, ainsi qu’au passé du lieu, un café doté d’une salle de réception et de bal.
Toujours attentif à la texture particulière du contexte, Haroon Mirza occupe cette « architecture trouvée » et démultiplie les références : inspiré d’une part par le film de Wolfgang Petersen, Das Boot, qui relate les aventures du sous-marin allemand U-96 (Kriegsmarine) et de son équipage durant la Seconde Guerre mondiale et d’autre part par un single d’Acid house, intitulé Access et produit par DJ Misjah and Tim dans les années 90. Porteuse d’une conscience politique indéniable, l’œuvre se lit comme une vaste équation sensible, qui met ici en lumière les spécificités du lieu.
Éva Prouteau
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Note
1 – Extrait du texte d’Emeline Vincent Haroon Mirza, LO-FI immersions, publié dans Volume n°5, 2012-2013.
Production
Œuvres
Installation sonore
Haroon Mirza a initié The Calling lors de sa résidence à l'Atelier Calder à Saché de juin à juillet 2013.
Dans ce cadre, il a bénéficié d'un soutien pour le développement d'une recherche artistique du Cnap (Centre national d'arts plastiques)
Courtesy Lisson Gallery, Londres
Courtesy Lisson Gallery, Londres