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Human Fly, Claude Lévêque, 2019
Film réalisé par Armand Morin / showingtheshow.com
Human Fly (Preview), Claude Lévêque, 2019
Film réalisé par Armand Morin
Exposition
Rien n’est jamais littéral chez Claude Lévêque. S’il tisse les allusions – citationnelles ou autobiographiques –, c’est pour mieux dégager la portée universelle d’une histoire qu’il enrichit au fil des espaces qu’il investit. L’enfance échappée, la mémoire traumatique, la colère, le désir et le spleen méditatif qu’inspire le paysage, tout cela s’entrelace souvent dans des installations théâtrales qui combinent – comme traditionnellement chez l’artiste – objets, son et lumière.
Entre esthétique du choc sensoriel et quête d’éblouissement contemplatif, Claude Lévêque prolonge volontiers ses dispositifs visuels par de puissantes créations sonores. Maints textes ont souligné ses accointances avec les utopies, contestations et marginalités des milieux musicaux 80s, mais sa culture est bien plus vaste : depuis ses débuts, le spectre musical de l’artiste absorbe tout ou presque, de Mahler à Slayer.
Par ailleurs, Claude Lévêque travaille des atmosphères sonores en collaboration, entre autres, avec le musicien Gérôme Nox. Le son devient alors, comme la lumière, un outil de métamorphose de l’espace, qui intensifie les expériences visuelles, dans la douceur (le délicat ruissellement cristallin qui accompagne Mort en été, installation onirique créée pour l’Abbaye de Fontevraud en 2012) ou dans la douleur (les ondes infra-basses de Sentier lumineux, déflagration conçue pour le Lieu Unique, Nantes, en 2000).
Féru d’images spéculaires, Claude Lévêque aime truffer ses installations de fragments réfléchissants. Le concept de miroir médium, rendu populaire par des artistes comme Michelangelo Pistoletto ou Daniel Buren, bouscule le statut de ce matériau dès les années 1960 : il devient à la fois image et sujet, support et surface.
Amplificateur d’espace, le miroir agit comme puissant capteur de lumière, donc de regard : ce matériau emblématise l’intérêt de Claude Lévêque pour le domaine du spectacle, l’incidence immédiate de l’univers de la fête foraine ou du cirque, ces univers éphémères qui produisent des sensations fortes avec des moyens souvent bricolés, assez rudimentaires. Mirages modestes qui font scintiller le paysage, ces dispositifs simples fuient la sophistication, qui convient mal au langage de l’artiste, dont l’œuvre est plutôt parcourue de reflets bruts, « dominée par le métal présent sous toutes les formes – cages, barreaux, lames, pots d’échappement, jantes, conserves, tôles, rails, etc.1 », comme une mise en abîme de la complexité infinie du réel.
À Saint-Nazaire, l’exposition toute entière travaille l’écriture de la lumière, et tranche avec les récents projets de l’artiste : une intervention in situ plus expérimentale, plus radicale, et un clin d’œil au Cramps et à leur titre Human Fly, petit bijou de rock psychobilly porté par la voix syncopée et les éructations sensuelles de Lux Interior. Le premier couplet du morceau fait allusion à la vision diffractée des mouches2. C’est précisément cet œil, sa vision démultipliée à facettes panoramiques, rendue possible grâce à une multitude de capteurs de lumière, qui a intéressé l’artiste pour évoquer l’élargissement de la perception, directement en lien avec l’impact sensoriel paroxystique de son dispositif.
Dans le vaste espace traversant du LiFE, bien protégé sous les chambres d’éclatements des bombes, huit mètres de béton armé pèsent au-dessus des têtes. Là, disposés au sol, Claude Lévêque répartit sept amas stellaires, spectaculaires bouquets de tiges d’inox poli miroir, liées par des colliers de métal. Ces barres se sont stabilisées selon leur poids, pour s’auto-bloquer à leur point d’équilibre propre : à la fois similaires et tous différents, ces assemblages croisés forment des nœuds d’éclairs qui dansent sous les saccades stroboscopiques, et vacillent sous le faisceau dédoublé des projecteurs.
Pour amplifier ce trouble visuel, dégagé de l’onirisme à l’œuvre dans d’autres projets, Claude Lévêque spatialise les harmoniques intenses d’entrechocs métalliques. Cette boucle sonore tient du roller coaster bruitiste, entre le tressautement allègre et le roulement menaçant, une circulation trépidante et résonnante qui envahit tout, l’espace comme les corps des visiteurs. De cette combinaison de forces en tension, il résulte une exposition qui agit comme un piège, notion souvent développée par l’artiste. Entre voyage initiatique et embuscade, vertige cosmique et exacerbation de tous les sens, la promenade est belle, toute en secousses. À faire sur le qui-vive.
Éva Prouteau, critique d’art
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Notes
1 – Florence Ostende, « Le Dernier rempart de la Loire », Monographie Claude Lévêque, kamel mennour éditions, Paris, 2018 p. 9.
2 – Une vision dont est dotée la créature de super-vilain créée par Marvel Comics, le Human Fly éponyme, qui est au cœur des paroles de la chanson.
Production
Édition
Biographie
Né en 1953 à Nevers.
Vit et travaille à Montreuil.
L’artiste est représenté par la galerie Kamel Mennour (Paris et Londres).
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