Exposition
L’exposition réunit des œuvres qui évoquent l’histoire contemporaine de manière subjective, que cela soit au travers du filtre autobiographique ou en convoquant l’histoire d’un tiers. Il s’agit de voir comment, à partir d’une évocation de faits personnels et individuels, ces artistes questionnent l’écriture de moments historiques et collectifs. Chacun d’eux joue des codes de la représentation de la mémoire en se détournant du document historique pur au profit d’un travail sur la structure du récit, par le montage (Deimantas Narkevičius, Ivan Grubanov), la mise en abîme (Peter Friedl) ou l’absence de catharsis et de crescendo (Anri Sala) pour faire émerger un espace-temps indéfini. Les œuvres présentées dans Histoire(s) ont en commun de recourrir à des dispositifs où l’image est questionnée dans sa capacité à dire, raconter l’Histoire. Souvent, elles évoquent plus qu’elles ne racontent à proprement parler. Chaque artiste met en œuvre l’image dans un dispositif précis où elle ne vaut jamais que pour elle-même. Ainsi, Anri Sala et Ivan Grubanov convoquent la peinture classique ou religieuse, Deimantas Narkevičius le cinéma de propagande, Peter Friedl, le cinéma hollywoodien et la chanson.
Peter Friedl
En tant qu’observateur de son environnement politique et culturel, Peter Friedl (1960, Autriche) crée des œuvres qui réagissent toujours à des événements ou situations spécifiques. Elles prennent des formes multiples : intervention graphique, signe ou objet fonctionnels, installation, vidéo, dessin, projet au long cours… King Kong, réalisée par Peter Friedl à Johannesburg en 2001, montre le musicien américain Daniel Johnston en train de chanter a capella une de ses chansons (comme une incantation). Il est assis sur un banc dans le square de Sophiatown, quartier de la banlieue de Johannesburg.
La vidéo fait référence à l’un des personnages les plus célèbres du cinéma hollywoodien, King Kong. Depuis sa première apparition en 1933 dans le film de Merian C. Cooper et Ernest B. Schoedsack, King Kong incarne les notions occidentales d’exotisme et de monstruosité (dans la veine d’un cinéma ethnographique et colonialiste). Pour son film Peter Friedl a choisi deux références spécifiques à King Kong : d’une part la chanson écrite par Daniel Johnston en 1983, d’autre part l’opéra-jazz de 1959 qui marqua l’histoire de l’Afrique du Sud en réunissant des artistes de peau noire et blanche, et qui fut perçu internationalement (en 1960 le spectacle fut présenté à Londres) comme une expression précoce de la complexité de la situation engendrée par l’apartheid. On a sans arrêt l’impression que la caméra se décentre de l’acteur central de la scène, le chanteur Daniel Johnston, qu’elle s’échappe pour capter le hors champs. Apparaissent alors foule de détails, de micro-événements que Peter Friedl place au même niveau que l’action centrale. Car le véritable héros du film, c’est la figure de King Kong.
Dans ce hors champs se côtoient des faits et gestes réels, prélevés sur le vif (les jeux des enfants) et des actions mises en scène par Peter Friedl (le passage d’une personne coiffée d’un masque de King Kong), l’équipe de tournage au repos ou enregistrant… Les multiples niveaux de mise en abîme de la scène proposent un espace-temps circulaire, à tout moment réversible et dans lequel il n’existe pas d’entrée unique.
Anri Sala
Peintre de formation, Anri Sala (1974, Albanie) travaille maintenant le film et la vidéo, mais son utilisation du plan fixe, de la lumière et la lenteur des motifs rappelle son passé de peintre. En 2002, il réalise « Naturalmystic (Tomahawk) », une installation vidéo et son qui nous confronte à un étonnant « récit de guerre ». Un jeune homme, assis dans la pénombre d’un studio d’enregistrement de musique, reproduit sans instrument autre que son souffle, le bruit des bombes Tomahawk tombées sur Belgrade quelques années plus tôt. C’est au cours des longues heures passées enfermé chez lui, empêché de sortir par les bombardements qu’il a « tué le temps » en mémorisant à la perfection le bruit des explosions.
Il semble à la fois habité et absent de la situation tragique qu’il évoque, alors même que tout son corps est impliqué. Une tension extrême s’installe au fil du temps. Là où l’on attend une montée en puissance, une précipitation, une apogée paroxystique dans l’enchaînement sonore des explosions, se déroule une implacable répétition méthodique. C’est bien le détachement de cet homme de Belgrade, victime et témoin de la guerre, qui étonne et impressionne. Un détachement créé par ces bombardements d’un nouveau genre, qui lui sont « étrangers », appelés « frappes chirurgicales ». Où quand l’ennui génère de la résistance. Face à cette absence d’images des bombardements, chaque spectateur est renvoyé à sa propre représentation de la guerre. La choix du studio d’enregistrement, espace clos, phoniquement coupé du reste du monde, fait écho à l’intériorité du personnage, à son » recueillement « . La lumière qui l’éclaire rappelle la peinture religieuse.
Ivan Grubanov
L’histoire récente de l’ancienne Yougoslavie est le point de départ du travail d’Ivan Grubanov (1976, Serbie) ; la guerre, tragédie politique et sociale, a également déterminé le rapport entre l’artiste et son père. Après avoir quitté la Serbie pendant une longue période, Ivan Grubanov revient et lui rend visite. Sous la forme d’un diaporama de 80 images (une majorité de photographies et quelques peintures) Study of My Father, a Relation to the Origin (2004) est un portrait de son père, où alternent des images de bâtiments détruits par la guerre et des images du père, vêtu d’un slip blanc. On le voit errer à travers le salon exigu du domicile familial. Le père ressemble à un homme qui a perdu son chemin. Se glissent aussi des images de manifestations pacifistes et de manifestations de soutien à Milošević, des reproductions de peintures faites par l’artiste, en particulier de podiums servant aux meetings politiques.
Le regard critique que Ivan Grubanov porte sur son père, qui appartient à la génération coupable d’avoir entraîné la Serbie dans la guerre s’apparente à des croquis d’étude qui évoquent clairement la peinture classique : le corps athlétique du père, symbole de puissance renvoie au genre du nu, les bâtiments détruits aux peintures antiques des ruines, la lumière et les couleurs, à la peinture d’intérieur.
Ivan Grubanov appartient à la génération de jeunes artistes serbes qui a grandi dans une société extrêmement confinée. Cette génération s’est révoltée contre le régime de Milošević et a cherché à ouvrir des voies de communication avec le monde extérieur, notamment en tentant de nouvelles expériences en art. Dans ce contexte Ivan Grubanov a pris conscience de son rôle dans la société et de la nécessité de défendre l’indépendance de sa position.
Deimantas Narkevičius
Deimantas Narkevičius (1964, Lituanie) développe un travail autour de la narration à travers le film et la vidéo. Son sujet central est l’exploration de l’Histoire à partir d’un point de vue vivant et subjectif. Deimantas Narkevicius se sert et considère l’Histoire comme un matériau pour son oeuvre. L’oeuvre d’art, selon lui, peut toujours être lue comme un questionnement sur d’autres pratiques et c’est dans cet interstice qu’il situe son travail.
His-Story (1998), installation filmique constituée de deux projections, est une réponse artistique de Deimantas Narkevičius à un questionnement politique. Il raconte ici une période de l’histoire de la Lituanie à travers une perspective individuelle et autobiographique, tout en gardant le mode du documentaire filmé. L’installation relate l’expérience de son père qui, occupant un poste hiérarchiquement élevé au sein de l’administration lituanienne, a été démis de ses fonctions de manière arbitraire et violente. La narration est insolite car l’artiste alterne continuellement des fragments du passé et du présent, utilise des impressions de déjà-vu. Il déconstruit la linéarité de l’histoire. L’utilisation d’appareils datant de l’ère soviétique donne à l’image une qualité particulière qui rappelle les films de propagande. La mixité de moyens technologiques (équipements anciens, images d’archives, films réalisés pour l’occasion…) transpose l’action His-Story dans un espace-temps indéfini donnant ainsi une forme particulière à l’enregistrement d’une histoire et à sa formulation. Le deuxième film, très court, montre en boucle un couple de jeunes mariés franchissant un pont, symbole en Lituanie du passage d’une rive à l’autre, d’un espace à un autre.
Production
Œuvres
3 min 57 s
Collection du Musée d’arts de Nantes
2 min 8 s
Collection de l’artiste.
Courtesy Hauser & Wirth Zürich London ; Galerie Chantal Crousel, Paris ; Johnen/Schöttle, Berlin, Cologne, Munich
Collection de l’artiste
Courtesy Galerie noguerasblancard, Barcelone
Biographies
Peter Frield
Né en 1960 en Autriche.
Vit et travaille à Berlin.
L’artiste est représenté par la Galerie Meyer Kainer.
Deimantas Narkevičius
Né en 1964 en Lituanie.
Vit et travaille en Lituanie.
L’artiste est représenté par gb Agency.
Anri Sala
Né en 1974 en Albanie.
Vit et travaille à Berlin.
L’artiste est représenté par la Galerie Chantal Crousel.