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Exposition
Incursions magiques dans le réel, les œuvres de Simone Decker puisent à la source de l’espace, de la matière et du jeu perceptif. Si l’artiste approche les lieux à l’instinct, ses installations, sculptures ou photographies procèdent pourtant de processus extrêmement rationnels. Trucages optiques, jeux d’échelle et matériaux inédits sont des outils que Simone Decker manie avec dextérité pour modifier les points de vue, piéger les corps et métamorphoser le rapport du spectateur à l’espace.
Des sculptures gigantesques en chewing gum dans les rues de Venise (Chewing in Venice, 1999), cinquante kilomètres de rubans adhésifs colorés à la Synagogue de Delme (White Noise, 1999), douze fantômes phosphorescents moulés sur les sculptures de la ville du Luxembourg (Ghosts, 2004), une tour composée d’environ deux cent caisses d’œuvres de la collection d’un musée offrant à son sommet un point de vue inédit sur la ville (Second Life, 2010)… Les dispositifs de l’artiste témoignent d’une occupation de l’espace inventive, spectaculaire et toujours expérimentale. Car le dialogue serré qu’elle entretient avec les lieux s’apparente à une recherche en corps-à-corps : elle en moule l’empreinte, en empêche l’accès ou au contraire leur confère des vertus adhésives pour capturer le visiteur ; elle en bouleverse l’ordre (les rapports d’échelle, les points de fuite, la perspective) ; enfin, elle révèle volontiers la nature illusionniste de nos représentations. Aux grandes problématiques qu’elle soulève (l’intime et le public, la maquette et le monumental…), elle répond avec une grâce joueuse. Car les œuvres de Simone Decker ont la gravité légère et la pertinence impertinente : elles cachent leur complexité derrière une évidence visuelle et ne lésinent jamais avec le plaisir.
Sur ce double mode, intuitif et analytique, ludique et conceptuel, l’artiste expose au LiFE sa vision singulière de la base des sous-marins, gigantesque monument « noir » de la seconde guerre mondiale. Cette architecture de la démesure que la ville de Saint-Nazaire « digère » peu à peu fait ici l’objet d’une relecture formelle inattendue, physique, métaphorique et … gourmande. Au centre de l’exposition se dresse, tel un mets de choix, une sculpture monumentale que Simone Decker a conçue souple et sensuelle, accessible au public invité à pratiquer, toucher et sentir les formes de l’œuvre.
En contrepoint et dialogue avec cette sculpture de mousse hors-normes, l’artiste investit la base dans sa « chair » même : une quinzaine d’inserts épousent les fissures du bâtiment, discrètes incrustations réalisées en céramique dentaire. Entre ornementation précieuse et pansement thérapeutique, ces micro-prothèses invitent à la découverte intime de l’architecture, scrutée dans son épaisseur, saisie au plus près d’une vie matériologique autonome. Un temps propre, qui n’est plus celui de l’Histoire mais celui du corps, peut alors advenir : le vieillissement du béton, ses suintements calcaires, ses failles où perce la lumière deviennent autant de révélations nées du geste de l’artiste. Cette dernière file ainsi sa métaphore gourmande, où la base s’envisage comme une gueule – celle d’un monstre ? – suggérant des approches sensorielles inédites.
Avec ces productions exceptionnelles, Simone Decker poursuit ainsi son intime questionnement de l’espace, densifie son exploration de la matière et confirme que l’art et sa réception, définitivement, valent comme expériences d’appropriation.
Éva Prouteau
Biographie
Née en 1968 à Esch-sur-Alzette au Luxembourg.
Vit et travaille à Francfort-sur-le-Main en Allemagne.