Ce cycle de conférences fait écho à une prise de conscience : celle de l’impact de l’activité humaine sur l’environnement. Dérèglements climatiques et pollution de l’atmosphère nous conduisent aujourd’hui à porter un nouveau regard sur la nature et le vivant. Si la période est propice pour interroger la place de l’Homme au sein de la nature, elle est aussi l’occasion de relire l’histoire de l’art sur le temps long, les différentes représentations de la nature à travers les époques.
Durant des siècles, la nature est restée une curiosité à collectionner dans le sillage des cabinets des savants de la Renaissance, avant que les classifications évolutionnistes du XIXe siècle ne marquent durablement l’histoire des représentations. Nombreux sont les artistes à avoir été fasciné·es par la botanique et les origines de la vie, d’Albrecht Dürer à Claude Monet, tandis que la naissance de l’abstraction au début du XXe siècle oppose les approches naturalistes et spiritistes du monde, tel que le concevait la suédoise Hilma af Klint. Face à l’accélération de la mondialisation dans les années 1980, et la perception des changements climatiques depuis les années 1960, les réponses sont multiples : esthétisation, intervention dans et avec la nature, protection de la terre, pratique du recyclage ou actions militantes portées par la volonté d’alerter l’opinion et de recréer des écosystèmes. Les artistes du Land art, plus proches de questions plastiques et institutionnelles que de préoccupations premièrement politiques, en faisant du territoire leur matériau et partenaire de travail, changent notre regard sur le paysage et son altération. L’étude de la géologie, des fossiles et le lien au vivant ouvrent notre perception de l’environnement.
Aujourd’hui, la conscience écologique est plus que jamais d’actualité dans les arts visuels : que ce soit par l’attention portée aux espaces délaissés et à la biodiversité, au cœur des réflexions de Lois Weinberger ou Gilles Clément, la récolte au plus proche de son territoire, ou encore l’approche de la croissance végétale comme modèle de résilience ainsi qu’en témoigne le jeune artiste Benoît Piéron… Plus encore, notre position jusqu’alors marginale, (en cours de remise en cause) dans la chaîne du vivant participe d’un nouvel imaginaire fondé sur la porosité entre les êtres humains et non-humains, matières organiques et inertes, un monde où le vivant se recompose sans cesse.
Les conférences aborderont dans un premier temps les origines de la classification du vivant, du cabinet de curiosité aux méthodes scientifiques qui furent aux fondements de la muséologie et que les artistes comme herman de vries ou Mark Dion se réapproprient aujourd’hui, puis la découverte du temps long, à travers l’émergence de la géologie, qui fascina Cézanne au XIXe siècle, puis le surréaliste Max Ernst dans ses paysages stratigraphiques, Robert Smithson dans les années 1960, herman de vries, ainsi que la science des fossiles, matière à fiction dont Joan Fontcuberta et Virginie Yassef se saissisent avec humour.
Ensuite, après avoir consacré une conférence au Land Art et à ses relations à l’univers dans les installations de James Turrell et Nancy Holt, nous mettrons en lumière l’engagement écologique des artistes depuis la fin des années 1970, des lanceur·ses d’alerte à ceux qui font des écosystèmes de véritables partenaires, tels Agnes Denes, Mierle Laderman Ukeles, Gina Pane ou Andy Goldsworthy. Enfin, la cinquième rencontre portera sur les situations artistiques visant à convoquer l’animalité en nous à travers de nouveaux modes de communication avec le non-humain, animal ou minéral, vivant ou non, tels que l’ont expérimenté Joseph Beuys, Ana Mendieta ou plus récemment Violaine Lochu. Refusant l’anthropocentrisme, de nouvelles et nouveaux artistes-chercheur·ses tentent de recomposer le vivant en manipulant des organismes cellulaires et végétaux qui évoluent sans nous, comme Pierre Huyghe ou Hicham Berrada.
Ilan Michel est critique d’art, enseignant à l’École nationale supérieure d’architecture de Nantes et coordinateur d’expositions. Il s’intéresse aux relations entre corps et architecture et cherche à relier théorie et sensation. Depuis 2016, il a été assistant aux expositions au Frac Centre-Val de Loire, guide au Musée d’arts de Nantes, puis assistant scientifique d’expositions au Musée des beaux- arts et d’archéologie de Besançon. Il écrit pour la revue 02, La Belle Revue, Critique d’art.
Calendrier :
Jeudi 21 octobre à 18h30
Cabinet de curiosité et art de la collecte
Pour comprendre l’évolution du regard sur la nature, il faut revenir à l’apparition des premiers cabinets de curiosité, au XVIe siècle, pièces dédiées aux collections des savants, princes et humanistes qui tentent de comprendre la nature en la collectant, puis en l’organisant rationnellement. Il s’agit de la forme la plus ancienne de classification de la nature. Depuis les années 1980, cette forme de présentation a nourri plusieurs artistes comme herman de vries ou Mark Dion et commissaires d’exposition, tel Jean-Hubert Martin, en rétablissant la relation entre le règne animal, végétal et minéral sans hiérarchie.
Jeudi 18 novembre 2021 à 18h30
La découverte du temps long : géologie et imaginaire des fossiles
Depuis Cézanne, peintre acharné à « peindre les assises géologiques » de la Montagne Sainte-Victoire, les artistes ont poursuivi dans le champ artistique les avancées scientifiques qui nous ont fait prendre conscience du temps long. Des paysages stratigraphiques du surréaliste Max Ernst à la griffe préhistorique d’un dinosaure burlesque jusqu’à la reconstitution d’un jardin du Jurassique par Cécile Beau, l’art agit comme une machine à remonter le temps.
Jeudi 9 décembre 2021 à 18h30
Le Land Art, le paysage comme matériau
Avec le Land art américain puis anglais, la nature est devenue un paysage à métamorphoser. Il ne s’agit plus de le copier comme le faisaient les artistes de l’École de Barbizon dans la forêt de Fontainebleau en 1820, mais de prendre le territoire comme un matériau plastique en intervenant directement sur le motif. À 30 ans, en 1968, Walter de Maria, Dennis Oppenheim, Robert Smithson, Nancy Holt ou Richard Long vont se débarrasser des règles du musée pour collecter, arpenter, réhabiliter, transformer l’environnement naturel et concevoir l’art à grande échelle.
Jeudi 24 février 2022 à 18h30
Utopies et activismes écologiques
Cette conférence questionne l’engagement écologique des artistes depuis la fin des années 1970. Si certain·es plasticien·nes et performers peuvent tenter d’alerter l’opinion sur la crise climatique en créant la polémique (Nicolás García Uriburu, Sarah Trouche, collectif HeHe, Lara Almarcegui), d’autres organisent des actions de sauvetage concrètes : dépollution (Joseph Beuys, Mierle Laderman Ukeles) et réintroduction du vivant face aux buildings (Ágnes Dénes). Ces interventions, qui mêlent le politique au symbolique, nous conduisent à aborder de nouveaux espaces d’utopie (Lois Weinberger, Pedro Reyes). Loin d’être détachées du réel, ces alternatives nous proposent de modifier notre point de vue pour mieux changer le monde.
Jeudi 28 avril 2022 à 18h30
Le devenir animal
Si le risque de régression à l’état animal est ancré dans les sociétés du XVIIIe et XIXe siècles qui pensent être sorties de l’état de nature, les artistes des années 1960 mettent en cause notre confiance accordée à la Raison. Rebecca Horn repense l’humain comme animal civilisé, Joseph Beuys tente de communiquer avec un coyote… avec toute la part de sauvage et d’incontrôlé que ces situations impliquent. Adopter les propriétés animales pour augmenter les capacités humaines est un vieux rêve depuis Léonard de Vinci. Il s’agit ici, au contraire, de changer sa nature : Simone Forti intègre les mouvements du zoo de New York à la danse post-moderne, Violaine Lochu réinterprète le chant des oiseaux à l’accordéon, autant d’étapes qui conduisent au devenir non-humain : éprouver la respiration de la terre (Ana Mendieta), le temps d’une pierre, la patience d’une poule (Abraham Poincheval) ou la sensibilité d’un cheval (Art-Orienté-Objet).
Jeudi 2 juin 2022 à 18h30
La recomposition du vivant
Face à un monde anthropocentré, de nouvelles et nouveaux artistes-chercheur·ses tentent de recomposer l’essence du vivant. Les expériences de ces apprenti·es laborantin·es prennent acte de la porosité entre les êtres et envisagent des coopérations inter-espèces. Certain·es délèguent une part de leur autorité à des paramètres aléatoires, cellules ou conditions atmosphériques (Pierre Huyghe), quand d’autres réinventent des paysages abstraits et symboliques en imitant au plus près les phénomènes naturels (Bianca Bondi, Hicham Berrada). Dans tous les cas, l’œuvre est devenue un organisme vivant (Michel Blazy) qui peut bien se passer des êtres humains pour continuer sa métamorphose.
Informations pratiques :
À Bain Public : 24 rue des Halles, Saint-Nazaire