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Exposition
Hans Op de Beeck est un créateur d’intermondes. Ses œuvres, suspendues entre passé et futur, fiction et réalité, sondent un univers contemporain aux allures de mirage, vertige sensoriel où le familier côtoie l’étrange. Nourri de littérature et de cinéma, l’artiste incarne ses visions dans un modèle combinatoire et scénographique. De l’installation à la sculpture, de la vidéo au film d’animation, de l’écriture de nouvelles à la peinture et au dessin, de la photographie à la matière sonore, les médiums qu’il emploie semblent tous converger vers la définition d’un topos : un théâtre mental, qui projette le spectateur dans une expérience réflexive, sociale et culturelle, pensée intime de la condition humaine.
Les premières œuvres visuelles et littéraires d’Hans Op de Beeck explorent déjà le sens de la vie comme objet spéculatif : citons Determination (4) (1998), une projection vidéo grandeur nature où un couple et ses deux enfants courent vers nulle part dans un espace entièrement blanc ; ou encore Coffee (1999), long plan fixe cadrant un couple âgé prenant un café sans échanger une parole. L’artiste questionne également notre relation à l’espace public ou à l’architecture d’habitation, et fait basculer nos repères fonctionnels et pragmatiques vers la poésie pure. Évocations intrigantes de paysages urbains à l’élégance proche de la ruine futuriste, la série des Location (1998-2008) opère ce déracinement des images, cette faculté à transmuer le banal en extension fantasmatique de notre psyché humaine. Ce vaste cycle s’appuie sur un principe d’immersion parfois spectaculaire : le visiteur s’attable dans un restaurant qui surplombe une autoroute déroulée jusqu’à l’horizon, de nuit (Location (5), 2004) ou s’assoie au centre d’un salon circulaire ouvert sur un désert de neige ouaté à l’infini (Location (6), 2008). Autant de dispositifs pénétrables qui rappellent la magie des grands diaporamas du XIXème siècle, machines illusionnistes qui affolent les perspectives et stimulent de longues échappées visuelles et auditives, à forte charge contemplative.
De plus en plus, la démarche d’Hans Op de Beeck s’affirme existentielle et générique : la naissance, la maladie, la souffrance, la pulsion de vie et la mort deviennent autant de motifs mis en scène dans des environnements formatés, mondialisés, où la technologie affleure. C’est l’architecture standardisée de T-Mart, installation sculpturale d’un supermarché imaginaire animée par vidéo-projection, ou encore celle de The Building, une sculpture et un film d’animation qui donnent corps à un complexe hospitalier mégalomane. Ces environnements, traités comme des synthèses allégoriques, interrogent la nécessité de décor sophistiqué dans lequel notre vie se joue. Que signifie manger, guérir ou mourir dans de telles matrices spatiales ? Comment cerner le pouvoir de séduction de ces infrastructures, leur dimension à la fois repoussante et quasi-sublime ? Ne sont-elles pas devenues les prolongements désirés de notre propre corps en profonde mutation ?
Les œuvres d’Hans Op de Beeck captent ainsi la vitalité trouble de ces espaces qui déterminent nos comportements, façonnent nos sensibilités. Empreintes de mélancolie, porteuses d’une charge critique parfois désabusée, elles assimilent notre monde globalisé à un rêve crépusculaire au charme vénéneux, un dédale obscur et intangible dans lequel les humains cherchent à maintenir le contrôle grâce à divers rituels culturels que l’artiste questionne. Point de moralisme toutefois dans ce regard : tout en nourrissant une réflexion analytique ouverte, l’univers d’Hans Op de Beeck exacerbe le mystère, l’ellipse et le sublime. Ses dernières aquarelles confirment cette approche duelle dans de grands formats noir et blanc, fragments de nature erratiques ou intérieurs désertés, qui font autant écho au film noir qu’à la peinture de la Renaissance. Dans ces compositions, la mise à distance induite par la perspective frontale n’exclut jamais la sensation violente d’une fusion du regard avec le paysage. Si loin, si proche, l’art d’Hans de Beeck se révèle à merveille dans cette dynamique irrésolue : une distance froide, qui est aussi un corps-à-corps fantastique.
En 2008, à l’occasion d’un séjour d’étude à Saint-Nazaire, Hans Op de Beeck fut frappé par le développement historique remarquable de cette ville portuaire, dont les chantiers navals produisent les plus grands paquebots de croisière du monde. L’un des derniers en date, le Queen Mary 2, mais aussi l’élévation du Burij Kalifa à Dubai lui apparurent comme l’archétype ultime du luxe contemporain, symptomatique de la relation qu’entretient le monde occidental à l’égard de certains concepts : le temps libre, le travail et la consommation, l’utopie. Ce fut le point de départ du projet Sea of Tranquillity [Mer de la Tranquillité], un nouveau cycle d’envergure dans le travail de l’artiste, pour une exposition accueillie dans quatre institutions européennes.
Sea of Tranquillity : ce titre a des connotations plurielles. Traduit littéralement en néerlandais, Sea of tranquillity devient « Zee van Rust », une expression courante qui décrit l’expérience d’un moment suspendu, hors-du-temps, dans la paix et le silence, un océan de calme. En latin « Mare Tranquillitatis » désigne une mer lunaire, où s’écrasa le vaisseau spatial Ranger 8 en 1965 ; c’est à ce même endroit que se posa le module de la mission américaine Apollo 11, qui permit aux hommes de marcher sur la Lune. Ce titre comporte enfin une part d’ironie, si l’on considère ce qu’offre une croisière aujourd’hui : des activités sans danger et sans imagination, nivelées par l’industrie des loisirs.
Hans Op de Beeck conçoit son projet d’exposition autour d’un vaisseau fictif, lui-même baptisé Sea of tranquillity : une salle accueille la monumentale version sculptée de ce bateau imaginaire, accompagnée de diverses sculptures (mannequins et leurs costumes, sculpture d’un paysage portuaire…) qui ponctuent l’exposition. Un court-métrage mêlant acteurs réels et environnements 3D plonge virtuellement le spectateur dans l’antre de ce paquebot étrange et menaçant, qui fend doucement la nuit. Autre élément, bi-dimensionnel cette fois-ci : une série de grandes aquarelles en noir et blanc représentant des lieux et des personnages associés à cette fiction navale. L’ensemble s’articule dans une mise en espace très muséale : une forme de récit s’installe, une scénographie de la mémoire, un voyage immersif dédié à cette énigmatique légende flottante.
Éva Prouteau
Œuvres
290,6 x 129,2 x 4,35 cm
Courtesy Xavier Hufkens, Brussels
249 x 133,9 x 4,35 cm
Courtesy Xavier Hufkens, Brussels
100 x 100 x 200 cm
Courtesy Galleria Continua, San Gimignano - Beijing - Le Moulin ; Galerie Krinzinger, Vienna ;
Xavier Hufkens, Brussels ; Marianne Boesky Gallery, New York ; Galerie Ron Mandos, Rotterdam – Amsterdam
196 x 76 x 235 cm
Courtesy Galleria Continua, San Gimignano - Beijing - Le Moulin; Galerie Krinzinger, Vienna; Xavier Hufkens, Brussels; Marianne Boesky Gallery, New York; Galerie Ron Mandos, Rotterdam – Amsterdam
261 x 136,2 x 4,35 cm
Courtesy Xavier Hufkens, Brussels
196 x 76 x 235 cm
Courtesy Galleria Continua, San Gimignano - Beijing - Le Moulin ; Galerie Krinzinger, Vienna ;
Xavier Hufkens, Brussels ; Marianne Boesky Gallery, New York ; Galerie Ron Mandos, Rotterdam – Amsterdam
Approx 100 x 100 x 220 cm
Courtesy Galleria Continua, San Gimignano - Beijing - Le Moulin
236,5 x 135,4 x 4,35 cm
Courtesy Xavier Hufkens, Brussels
135 x 400 x 140 cm
Courtesy Galleria Continua, San Gimignano - Beijing - Le Moulin
25 min
Commande du Ministère de la Culture et de la Communication - Centre national des arts
plastiques et a été réalisée avec le soutien du Fonds Audiovisuel Flamand (VAF), de
Emmanuelle et Michael Guttman et Le Fresnoy - Studio national des arts contemporain.
L’exposition a été réalisée avec le soutien des Autorités Flamandes, de Xavier Hufkens
(Bruxelles) et de Galleria Continua (San Gimignano - Pékin - Le Moulin)