Documents disponibles
Chambre froide, Nicolas Deshayes, 2022
Film réalisé par Sylvain Huet / Avis d’Éclaircies
Exposition
Démarche artistique
Sculpteur, Nicolas Deshayes met en jeu les processus industriels qu’il vient contredire par des gestes manuels. Son univers formel, parfois fantasmagorique, est ouvert à de multiples interprétations, entre mécanique d’objets domestiques et corps mutants. Malgré la dureté de ses matériaux de prédilection que sont le bronze, la fonte d’aluminium ou la céramique, Nicolas Deshayes produit des sculptures où la sensation de malléabilité l’emporte. Le corps est omniprésent mais uniquement par bribes, et l’on perçoit de mystérieuses formes organiques, des chairs dépouillées, des membranes suggérant la peau – organe de surface et d’échange entre intérieur et extérieur.
S’agit-il d’humains, d’animaux ou d’êtres hybrides en pleine métamorphose, telles des chrysalides ? Les différentes échelles de ses œuvres brouillent nos perceptions. Certaines reproduisent des systèmes circulatoires pouvant transporter l’eau ou la chaleur à l’image des fluides corporels, tandis que d’autres manifestent une réelle porosité des corps, des matières et des objets. Cette sculpture équivoque aux multiples ressorts suscite ainsi des sentiments contrastés, passant du trivial au fantastique.
Né en France en 1983, il a étudié au Chelsea College of Art and Design et au Royal College of Art à Londres avant de s’installer à Douvres dans le Kent. Alors que son œuvre rencontre un écho grandissant au Royaume-Uni, en Allemagne ou en Italie, c’est récemment qu’il présente son travail en France lors d’une exposition monographique au Frac Grand Large à Dunkerque (Glissement) et au centre d’art contemporain Le Creux de l’Enfer à Thiers (Gargouilles). Au Grand Café, Nicolas Deshayes réadapte des éléments présentés lors de ces deux dernières expositions et poursuit ses recherches plastiques autour de la fonte du métal, de l’industrie, du corps et des systèmes circulatoires.
L’exposition
Il fût un temps où Le Grand Café était un lieu de réception où l’on venait déguster un repas ou boire un verre et où l’on s’affairait en cuisine pour servir les clients à l’étage ou en terrasse. Avec l’exposition Chambre froide Nicolas Deshayes nous invite à circuler dans les différents espaces de cette ancienne brasserie, du jardin aux arrière-cuisines, des fontaines au banquet. En écho à cette histoire, il déploie un univers de formes, aussi attirantes que repoussantes, qui semblent faire corps avec le lieu et nous révèlent l’intériorité des choses.
L’artiste joue des représentations attachées au corporel, convoquant plusieurs vocabulaires esthétiques qui traversent l’histoire : du bestiaire médiéval et ses êtres hybrides jusqu’à la science-fiction qui explore un corps transformé, aux frontières du post-humain.
Le travail de Nicolas Deshayes nous confronte aux possibles dérives de la production industrielle et sérielle, celle qui semble aujourd’hui concerner les corps de tous les protagonistes du vivant, de la proie au prédateur : animal, végétal et minéral.
Côté jardin
Nicolas Deshayes s’attache à rendre visible ce qui habituellement se cache. Inspiré par le récit de Victor Hugo sur les égouts de Paris dans son roman Les Misérables (1862), il met en lumière un monde souterrain traversé de systèmes circulatoires et en exhibe les profondeurs par un vocabulaire formel qui se joue des paradoxes entre le séduisant et le repoussant, l’inerte et l’animé, le mou et le rigide, l’intérieur et l’extérieur. Ce renversement s’opère dès l’entrée de la grande salle, où des fontaines, en fonte d’aluminium, émergent d’un bassin central, comme le miroir de galeries sous-terraines. Ces formes organiques, vivantes, dessinées et sculptées par écoulement du métal en fusion dans le sable, révélées peu à peu par l’artiste dans un geste presque archéologique, s’érigent librement. Leur apparente mollesse contredit la rigidité du métal et elles semblent défier leur inertie pour se livrer à un ballet joyeux au sein de cet espace devenu scène, où se dressent d’extravagantes formes baroques. Reliées par le flux constant de l’eau, ces sculptures aux airs de lombrics, de boyaux ou de cordes élégantes, communiquent telles les éléments constitutifs d’un même organisme qui habiterait le lieu.
Chambre froide
Au cœur de la petite salle, dans une atmosphère diffuse et intimiste, Dear Polyp dessine un nœud de bronze couleur émeraude. Elle se raccorde de manière parasitaire au réseau de chauffage comme si elle voulait, elle aussi, profiter de ces flux calorifiques et faire corps avec l’espace. On imagine alors qu’en hiver, la chaleur affluant dans sa froide carapace de métal, lui procurera un semblant de vie. Du froid au chaud, du métal à la chair, les sculptures de Nicolas Deshayes dépassent le caractère inanimé des matériaux qui les composent et incarnent le vivant. La température est un élément fondamental dans la pratique de l’artiste. Pour lui, ce sont les variations thermiques que les matières subissent qui insufflent aux œuvres cette illusion de vie et de mouvement. Le métal en fusion, le plastique fondu, la cire chauffée, autant de matériaux passant d’un état liquide à solide, de la chaleur extrême au refroidissement, de formes malléables à figées. Cramps, bas-reliefs fabriqués à base de mousse polyuréthane et de plastique thermoformé mécaniquement, reflète cette corporalité de la matière. Des formes molles s’extraient du mur : organes digestifs greffés au lieu, seconde peau ou galeries souterraines fossilisées ?
Banquet
Ces entrelacs épidermiques ressurgissent à l’étage, indices d’un dédale intérieur partiellement visible. La matière rose enveloppée par cette membrane de plastique luisante évoque aussi la viande sous-vide des étals de boucherie. Cramps s’apparente alors à de la nourriture, comestible. Au centre de la pièce, une série de sculptures en bronze (Gargouilles) disposées comme les éléments d’un buffet, nous invitent à passer à table. Elles deviennent des consommables, au même titre que le nom donné aux matières premières dans l’industrie. Ici, la production à la chaîne semble contrariée, et si toutes les sculptures sont issues du même format, celui d’un pain de terre*, elles surprennent par leur singularité. De cette manière, Nicolas Deshayes déjoue les mécanismes de production en série par son intervention manuelle pour créer des pièces uniques, toujours à la croisée de l’industrie et de l’artisanat. Il étire la matière, l’extrude, en ajoute, produit des assemblages. En résulte des entités hybrides, entre denrées alimentaires et créatures mutantes aux poils hérissés et à la peau plissée.
*Nom communément donné à l’argile vendue sous forme de « pain » rectangulaire et destinée à un usage de poterie.
Production
Œuvres
Courtesy Modern Art gallery, Londres
120 × 110 × 190 cm
Courtesy Modern Art gallery, Londres
Courtesy Modern Art gallery, Londres
Courtesy Modern Art gallery, Londres
Courtesy Modern Art gallery, Londres
Courtesy Modern Art gallery, Londres
Courtesy Modern Art gallery, Londres
Courtesy Modern Art gallery, Londres
Courtesy Modern Art gallery, Londr
Courtesy Modern Art gallery, Londres
deux parties, chacune 124,7 × 185,5 × 10 cm
Collection Frac Grand Large - Hauts‑de-France, Dunkerque
Courtesy Modern Art gallery, Londres
Biographie
Nicolas Deshayes est né en 1983 à Nancy (France), il vit et travaille à Douvres (Grande-Bretagne). Il est diplômé du Chelsea College of Art and Design et du Royal College of Art de Londres.
Nicolas Deshayes est représenté par la galerie Modern Art (Londres).