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Exposition
Paysage, carte, territoire, topographie, parcours… Dans son texte intitulé Frontières et pensée interprétative, Christophe Kihm souligne à quel point les références spatiales sont souvent convoquées lorsqu’il s’agit de décrire certaines formes plastiques contemporaines (readymade, art minimal, land art, in situ) qui « réfléchissent » l’espace et questionne à travers lui les conditions de leur définition autant que celles de leur exposition. A fortiori, poursuit-il, ce vocabulaire s’adapte particulièrement bien aux formes sonores s’intéressant à la diffusion et à la spatialisation du son. Depuis la « musique d’ameublement » d’Erik Satie et l’« ambient music » de Brian Eno, en passant par la musique concrète et le design sonore, la dimension spatiale est devenue une composante essentielle du son.
L’exposition collective Geo Sound Map rejoue cette inscription géographique et cartographique comme principe d’approche générique : des œuvres organiques (Rolf Julius, Dominique Blais) qui manifestent une présence quasi-géologique, des installations technologiques génératrices de paysages (Detanico & Lain, Dominique Blais), des dessins matiéristes et spatialisations lexicales de phénomènes sonores (Dominique Blais, Rolf Julius, Pascal Broccolichi)… Autant d’approches spécifiques du médium « son » où il est question de déplacement et de transcription, de codage et de poésie, de dérivation et de mue du territoire.
Dominique Blais
Expérimentateur visuel et sonore, Dominique Blais s’intéresse à la mémoire visible ou invisible des lieux et des personnes. Grâce à ses installations dotées d’une forte présence sculpturale, il attire notamment l’attention du spectateur sur des objets qui sont en premier lieu destinés à produire ou diffuser du son, et dont nous considérons rarement les qualités esthétiques. Hybridées de fluos irradiant la pièce, les câbles de l’œuvre Sans titre (Les Cordes) basculent ainsi du côté de la sculpture minimale, réceptacle d’une circulation d’énergie sonore et lumineuse .
Pour Les Disques, Dominique Blais met en scène une série de moulages de cymbales en grès d’Irak disposées à terre ou suspendues au ras du sol. Dans une chorégraphie lancinante, les cymbales en suspens tournent sur elles-mêmes, effleurent doucement le sol, produisent de légers frottements : une matière sonore inframince, primitive et tellurique.
Autre installation présente dans l’exposition, L’Ellipse est composée de micros sur trépieds répartis dans l’espace selon un agencement circulaire. Ces micros, tournés vers le public, l’invitent à la circulation périphérique. Ce qui pourrait se lire comme un dispositif de conférence potentiellement interactif crée rapidement le trouble : ces micros sont en effet utilisés comme des enceintes, un son s’y diffuse et circule de l’un à l’autre, générant une impression de mouvement, un flux à vitesses variables.
Cette matière sonore provient de fréquences électromagnétiques enregistrées dans le cercle arctique, des fréquences habituellement inaudible pour l’oreille humaine et captées par l’artiste avec un récepteur basse fréquence. Elles s’apparentent à une granulation, une sorte de crépitement ténu, un feu d’artifice microscopique. L’Ellipse est double ici : dans la géométrie de ce dispositif très graphique aux lignes noires répétitives, et dans la forme sonore qui s’en dégage, sculptée au gré des déplacements du spectateur-auditeur.
Enfin, Dominique Blais signe trois œuvres sur papier. Elles peuvent se lire comme des « portraits » de morceaux musicaux : la pulsation sonore de chacun est captée par l’artiste au moyen de poudre de fusain, placée sur la membrane des enceintes qui les diffusent. Les vibrations projettent alors cette poudre à la surface du papier : explosion graphique, empreinte performative, paysage rythmique, chaque œuvre donne à voir une nouvelle mise en scène des signes et l’expérience d’une traversée.
Pascal Broccolichi
Évoluant dans différentes disciplines, le travail de Pascal Broccolichi prend sa source dans une approche focalisée sur l’écoute, et tout particulièrement dans le son envisagé comme un vocabulaire de formes qui se prêtent à la création d’installations. Ses œuvres prennent ainsi en compte à la fois l’architecture et ses phénomènes topographiques, mais aussi les flux de vibrations qui composent la résonance d’un lieu pour les retranscrire et rendre ainsi audible ce que l’on ne fait habituellement que ressentir. En révélant ces manifestations sonores singulières, Pascal Broccolichi témoigne en filigrane de ses voyages, de son attention aux paysages traversés : il célèbre en creux une appropriation de l’espace, une vision biographique du géographique.
Depuis 2000, il développe le Lexicon, un ensemble de définitions basées sur l’analyse de phénomènes sonores repérés au cours de différents contextes à connotation acoustique ou psychoacoustique. La géométrie technique et sémantique des sons étudiés ne pouvant s’interpréter dans un contexte neutre, ce dictionnaire donne ainsi accès pour la plupart des définitions à des phénomènes synonymes ou antonymes. Le Lexicon s’envisage alors comme une véritable carte de mémoires sonores, qui oriente des trajectoires de lectures possibles par des fléchages.
Un exemple décrit par l’artiste de cette impossibilité à analyser un phénomène sonore isolément : « Prenons l’écho. Un effet simple de réflexion d’une onde sonore contre un obstacle. Écouter un écho, c’est déjà percevoir l’espace qui se déploie autour. C’est comme le visualiser. Un peu plus encore, c’est une fragmentation, un retard, et pour finir c’est l’illusion qu’un son peut renaître juste à côté. Cette simple analyse de l’effet « écho » trace des liens directs et indirects avec les phénomènes de réverbération, de répétition, de réflection, de reprise, de rétroaction, de résonance, de transition, d’anamnèse, d’anticipation… » (Extrait de Radiogramme, émission radiophonique du FRAC PACA, décembre 2003)
Pour Geo Sound Map, Pascal Broccolichi spatialise certaines définitions de phénomènes liés à des singularités sonores spatiotemporelles et géographiques en lien avec la mécanique complexe des langages et les défauts de la mémoire. L’ensemble articule une géographie générale dans laquelle chaque définition représente un élément singulier qui participe à la composition d’un écosystème beaucoup plus vaste qu’il n’y paraît. Émerge alors une forme de relief de la pensée qui n’a ni centre ni bordure mais de multiples trajectoires implicites.
Angela Detanico & Rafael Lain
Angela Detanico & Rafael Lain définissent leurs œuvres comme des « mouvements entre typographies et sons », des paysages intertextuels. Ils poursuivent depuis plusieurs années une réflexion sur le rôle du langage et sur ses fonctions. Ils en rappellent la double valeur formelle et conceptuelle, sa capacité à tisser les liens de la communication, mais aussi ses limites. En repensant et reconfigurant des éléments organisateurs (comme les logiciels informatiques, les partitions, etc.), ils en perturbent les fonctions usuelles. Par les effets de répétition et de manipulation des signes de l’alphabet et des images, ils déstabilisent les habitudes de lecture et la posture du regardeur.
Pour la vidéo Wave Horizon [Horizon vague] (2010), l’écriture est pensée comme une partition construite en fonction du temps, de l’écoulement des secondes. L’œuvre diptyque se base sur quatre sons différents, que les artistes ont ralentis, pour créer des systèmes visuels, qui sont aussi des visions nouvelles du monde. Ces sons sont reproduits en ondes, qui défilent comme des vagues, selon différentes vitesses, sur un double écran en parfaite synchronisation.
« Entendu dans son sens premier, comme étant l’ordonnancement de traits et de formes d’un espace limité, le paysage est un thème prépondérant dans l’œuvre de ces artistes. Il s’illustre notamment dans l’animation Wave Horizon qui développe une nouvelle approche du paysage maritime en y incluant le son. Quatre formes d’ondes essentielles – le triangle, la dent de scie, la sinusoïde et une forme de sinusoïde imbriquée évoquant le bruit blanc – apparaissent et défilent les unes après les autres, sur huit pistes différentes à des rythmes variés. À ces quatre formes simples sont associées leurs pendants, quatre sons modulés dont la durée d’écoute est déterminée par la forme qui apparaît à l’écran. (…) Ici les ondes sonores suivent le rythme de défilement de la vidéo et développent des correspondances poétiques et visuelles qui ne sont pas sans rappeler les équivalences sensorielles développées par Baudelaire dans Correspondances. »
(Line Herbert-Arnaud, extrait de l’article paru dans la revue Mouvement, n°58, janvier 2011.)
Rolf Julius
L’art de Rolf Julius tient de la performance sonore chère à l’avant-garde expérimentale et de la sculpture in situ marquée par l’influence diffuse de l’Arte Povera et de Fluxus. L’artiste glisse depuis la fin des années 70 son esthétique discrète dans les galeries et musées mais aussi dans le désert, les arbres, sur des plans d’eau, des façades d’immeubles, des baies vitrées… « Je crée un espace musical avec mes images. Avec ma musique, je crée un espace imagé. Les images et la musique sont équivalentes. Elles rencontrent l’esprit du regardeur et de l’auditeur et il en résulte quelque chose de nouveau. »
Cette relation au paysage resurgit dans de nombreuses installations : des hauts parleurs essaimés en archipel, sur le sol, sur les murs, le plus souvent de très petite taille, couverts de pigments, de gravats ou de poussières, parfois posés sur un pavé, camouflés de motifs minéraux ou cachés dans un bol laqué empli de sable ou d’eau. Présentés dans Géo Sound Map, Island (Dirt) et Stonefield A, B, C font partie de ces micro-royaumes qui bruissent de mille rumeurs modulées, où s’entremêlent traces de piano, bruits urbains, sons de la nature et variations électroniques.
« La surface d’un son m’intéresse. Qu’elle soit ronde ou angulaire, … et rugueuse, ou douce, etc. » Pour traduire son attachement à la surface sonore, Rolf Julius met au point une technique d’impression jet d’encre sur papier japonais que l’on retrouve dans Ring 20 mn hight : pour chaque dessin, le motif circulaire, ovale, rectangulaire ou carré est obtenu par saupoudrage de pigment, avec ou sans pochoir. Ensuite, le motif est numérisé pour être reporté sur un papier précieux. L’exploration de la surface sonore est retranscrite dans l’esprit d’un code visuel qui évoque une partition, l’effet tabulaire de l’organisation des dessins au mur renforçant cette sensation.
Œuvres
Courtesy galerie Martine Aboucaya, Paris
Courtesy Galerie Xippas, Paris
60 dessins encadrés
42 × 52 cm chaque
Courtesy Galerie Cortex athletico, Bordeaux
FNAC N°09-386
Collection du Centre national des arts plastiques - Ministère de la Culture et de la Communication, Paris
Dimensions variables
Courtesy Galerie Xippas, Paris
Le dictionnaire LEXICON est une unité lexicale qui regroupe un ensemble de définitions basées sur l’analyse de phénomènes sonores repérés au cours de différents contextes à connotation acoustique ou psychoacoustique.
LEXICON est un projet du Laboratoire LECSonic créé en 2000 par Pascal Broccolichi (www.lecsonic.net)
99,5 x 128,5 x 4 cm (encadré)
Collection Joëlle et Bernard Descamps, Dunkerque
99,5 × 128,5 × 4 cm (encadré)
Collection particulière Eric Mouchet
99,5 × 128,5 × 4 cm (encadré)
Collection particulière Jean-Paul Guy
Dimensions approximatives 130 cm
Courtesy Galerie Cortex athletico, Bordeaux
65 × 56 × 12 cm
Courtesy Galerie Cortex athletico, Bordeaux
55 × 55 × 9 cm
Courtesy Galerie Cortex athletico, Bordeaux
43 × 43 × 3 cm
Courtesy Galerie Cortex athletico, Bordeaux
Biographies
Dominique Blais
Né en 1974.
Vit et travaille à Paris.
Il est représenté par la galerie Xippas, Paris.
Pascal Broccolichi
Né en 1967 à Antibes.
Vit et travaille à Nice.
Il est représenté par la galerie Galerie Frederic Giroux, Paris.
Angela Detanico & Rafael Lain
Nés en 1974 et 1973 à Caxias do Sul, Brésil.
Vivent et travaillent à Paris.
Ils sont représentés en France par la galerie Martine Aboucaya.