Cette saison 2022-2023, l’histoire de l’art se décline également sous forme de projections de films. Les séances alternent entre conférences d’histoire de l’art à Bain Public, menées par Ilan Michel, et projections de films au cinéma Jacques Tati, choisis en collaboration avec Simon Lehingue, programmateur.
Le thème du cycle, faisant écho à l’exposition de Minia Biabiany au Grand Café, évoque le développement des scènes artistiques du Brésil et caribéennes, aux XXème et XXIème siècles, au regard des traces laissées par plusieurs siècles de colonisation européenne.
Face à la colonisation européenne qui a frappé le Brésil et les Caraïbes depuis le XVIème siècle, la « cannibalisation » symbolique de l’étranger a été le ferment de la modernité culturelle. L’absorption, l’assimilation et le métissage caractérisent de longue date l’identité de ces zones géographiques. Tout au long du XXème siècle, les artistes, écrivain·nes, plasticien·nes, musicien·nes, cinéastes, ont fait de l’art un outil de résistance. Retour à la terre, réunion de la culture savante et des pratiques populaires, transmission des savoir-faire, union de l’héritage africain et européen sont autant de facettes de cet autre récit de la modernité. Ce sont aux artistes de mettre en œuvre ces processus de réappropriation qui sont autant de réparations des traumatismes. Leurs œuvres expriment les silences et les non-dits face à des populations de plus en plus séparées de leurs géographies et de leur histoire.
Calendrier :
Jeudi 20 octobre 2022 à 18h30
Conférence à Bain Public
Brésil : cannibaliser pour trouver son identité
La première conférence s’établit au Brésil. Ce sont dans les années 1920, autour du poète Oswald de Andrade (1890-1954), auteur du Manifeste anthropophage (1928), que les avant-gardes artistiques opèrent une synthèse entre les cultures ancestrales du nord du pays, et le cubisme et le surréalisme parisiens afin d’élaborer une nouvelle identité nationale. Cette dynamique transculturelle trouve un relai dans les années 1960 : le mouvement Tropicália (1968), réunissant tous les arts contre la dictature militaire instituée en 1964, ainsi que mouvement néo-concret (1959) imaginant des formes participatives et multisensorielles à Rio de Janeiro. Lygia Clark (1920-1988), Lygia Pape (1927-2004) et Hélio Oiticica (1937-1980) multiplient les actions artistiques digérant la culture populaire avalée par la grande ville. Une jeune génération d’artistes questionne le cannibalisme dans un contexte postcolonial à travers l’artisanat traditionnel (Adriana Varejâo, 1964) et l’effacement progressif de la classe paysanne marquée par la lutte pour la propriété des plantations de cannes à sucre dans l’Etat du Pernambouc (Jonathas de Andrade, 1982).
Jeudi 10 novembre 2022 à 20h30
Projection au cinéma Jacques Tati
Bacurau de Kléber Mendonça Filho (2019)
Dans un futur proche… Le village de Bacurau dans le sertão brésilien fait le deuil de sa matriarche Carmelita qui s’est éteinte à 94 ans. Quelques jours plus tard, les habitants remarquent que Bacurau a disparu de la carte.
« Pensé comme une dystopie sur un futur proche, Bacurau est devenu un pamphlet sur le présent. » Nicolas Rieux, Mondociné
Jeudi 26 janvier 2023 à 18h30
Conférence à Bain Public
Mythes africains et espaces de résistance dans l’archipel de la Caraïbe
La deuxième conférence sillonne la Caraïbe. Entre la Martinique, la Guadeloupe, Cuba et Haïti, nous observerons les survivances des cultes ancestraux à travers la peinture et l’assemblage. Les artistes revisitent les mythes et traditions du vaudou et du zombie, figure de l’homme réduit en esclavage. Ainsi, pour Wilfredo Lam (1902-1982), « les mythes africains sont actifs dans le paysage cubain des champs de canne à sucre ». Plus proche de nous, entre Paris et Haïti, Gaëlle Choisne (1985) « pense les formes (…) comme des organes animistes » (Point contemporain, 2018) dans des installations composées de matériaux de récupération. L’autre aspect primordial des recherches artistiques actuelles tient à l’importance accordée aux propriétés des plantes, alimentaires ou au service de thérapies alternatives. En contexte colonial, elles sont rapidement devenues un enjeu de pouvoir pour les européens comme les populations indigènes (Kapwani Kiwanga, 1978), tandis que les pesticides des bananerais de Martinique et de Guadeloupe empoisonnent toujours les territoires insulaires (Julien Creuzet, 1986, Minia Biabiany, 1988). La forme des racines devient alors un espace de résistance, la métaphore d’une « pensée océanique » (Olivier Marboeuf) dont la mangrove, refuge des esclaves, est l’emblème, et la carte mentale la représentation graphique.
Jeudi 9 février 2023 à 20h30
Projection au cinéma Jacques Tati
Zombi Child de Bertrand Bonello (2019)
En écho à la conférence du 26 janvier, le film Zombi Child tresse deux espaces (Haïti et Paris) et deux temporalités (1962 et 2019) pour entamer une réflexion sur l’Histoire et l’esclavage à travers la pratique, consciente ou rémanente, du vaudou. Le film est inspiré de la vie de Clairvius Narcisse, un haïtien drogué qui aurait vagabondé en tant que zombie et esclave après avoir été déclaré mort en 1962. 55 ans plus tard, Melissa, une adolescente haïtienne du prestigieux pensionnat de la Légion d’honneur à Paris, raconte à ses camarades de classe le secret de sa famille. Melissa ne sait pas que cela va provoquer chez l’une des élèves, Fanny, des sentiments imprévisibles.
Jeudi 16 mars 2023 à 18h30
Conférence à Bain Public
Bricolage, réappropriation, une esthétique de la réparation
La troisième conférence établit des allers-retours entre le Brésil, l’archipel de la Caraïbe, le Cap-Vert et la France à travers la question de l’assemblage et du carnaval. La juxtaposition ou l’agglomérat d’éléments recyclés pour fabriquer une forme commune est au fondement des pratiques artisanales. Ce bricolage est aussi matériel que symbolique. Des Parangolé et des Pénétrables d’Helio Oiticica (1937-1980) au Divisor (1968) de Lygia Pape (1927-2004), métaphore du tissu social à activer par des performers, il s’agit de reconsidérer ces constructions sociales du point de vue tropical et non plus occidental. Dans les années 1979, Sarah Maldoror filme les pays nouvellement indépendants, et notamment le carnaval au Cap-Vert, événement populaire qui renverse les rôles du dominateur et du dominé (Cap-Vert, un carnaval dans le Sahel, 1979). La réappropriation est alors la condition de la réparation, ainsi que le théorise l’artiste franco-algérien Kader Attia (1970) face aux statuettes d’Afrique de l’Ouest raccommodées à l’aide d’objets européens. Rejouer l’histoire pour mieux la cannibaliser.
Jeudi 6 avril 2023 à 19h30
Projection au cinéma Jacques Tati
Trésor des poubelles de Samba Félix Ndiaye (1989)
En écho à la conférence du 16 mars, Trésor des poubelles est une anthologie de cinq courts métrages à travers laquelle le réalisateur sénégalais Samba Félix Ndiaye nous emmène découvrir les petits métiers artisanaux qui consistent à redonner une seconde vie aux objets qui finissent dans nos poubelles.
« Trésor des poubelles est une évocation de la magie et du savoir-faire des Dakarois dans cette transformation des matériaux de récupération. Ces films sont pratiquement sans aucun commentaire ; le réalisateur ne provoque jamais de véritables entretiens, mais laisse parler ceux qui sont devant la caméra, il les filme toujours à hauteur d’homme. Ils célèbrent les pratiques mises en avant et signifient la sagesse que les « pauvres » peuvent rendre vivante pour tout simplement subsister, pour nourrir leurs familles. »
Jean-Pierre Garcia, Festival international du film d’Amiens, 2013
(Durée 1h05)
La projection (prévue à 20h30) sera précédée à 19h30 d’une courte performance des étudiant·es de l’atelier de création sonore de l’école des Beaux-Arts de Saint-Nazaire, qui ont imaginé des instruments hybrides mi-machine, mi-acoustique en partant de l’idée du détournement comme processus de création, des matériaux récupérés et de leur transformation. La musique assistée par ordinateur, la création sonore, la création plastique, etc. sont ainsi, grâce aux outils numériques, associées dans une recherche commune, une performance entre les arts plastiques et la musique, en partenariat avec le Conservatoire de musique de Saint-Nazaire.
Un temps convivial clôturera la soirée et le cycle d’histoire de l’art.
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Ilan Michel est critique d’art, enseignant à l’École nationale supérieure d’architecture de Nantes et chargé de médiation. Il s’intéresse aux relations entre l’art contemporain et les avant-gardes artistiques du début du XXème siècle. Depuis 2016, il a été assistant aux expositions au Frac Centre-Val de Loire, conférencier au Musée d’arts de Nantes, puis assistant scientifique d’expositions au Musée des beaux- arts et d’archéologie de Besançon. Il écrit pour la revue 02, La Belle Revue, Critique d’art.
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Informations pratiques :
Les conférences ont lieu à Bain Public : 24 rue des Halles, Saint-Nazaire (20 octobre, 26 janvier et 16 mars).
Entrée 6 euros ; gratuit pour les moins de 18 ans, les demandeur·es d’emploi inscrit·es à Pôle emploi, les bénéficiaires du RSA et les élèves de l’École des Beaux-arts Nantes – Saint-Nazaire (sur présentation de justificatifs).
Sur réservation au 02 51 76 67 01 ou par mail : publicsgrandcafe@mairie-saintnazaire.fr
Les projections ont lieu au cinéma Jacques Tati : Agora 1901, 2 bis avenue Albert de Mun, 44600 Saint-Nazaire (10 novembre, 9 février, 6 avril).
Tarif plein 6,50 € / réduit 5,50 € (abonné le Théâtre, jeune de – 25 ans, demandeur d’emploi, adhérent CCP, La Couronnée, AVF, UIA, abonné des cinémas Pax au Pouliguen et Atlantic à La Turballe) ; carte 6 entrées 30 € ; moins de 18 ans 4 € ; P’tits Tati 4 €